Jay Rayner ou l’art de la critique féroce !

6 mars 2020 • À la Une, FOOD CRITIC, MOFF TALENTS

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Après vous avoir fait découvrir les critiques très littéraires d’Hannah Goldfield dans le New Yorker, je vous propose de découvrir un autre monument dans un style british radicalement différent. Jay Rayner est le redoutable critique gastronomique du quotidien anglais The Guardian. Véritable terreur des restaurants londoniens, ce grand amateur d’escargots à l’ail s’est fait brièvement connaître des gastronomes français en assassinant (assez injustement) le Restaurant triplement étoilé Le Cinq il y a trois ans. Jay Rayner ne semble pas avoir remis les pieds en France depuis mais il vient de signer un article passionnant dans lequel il compare les styles des critiques gastronomiques américains et anglais. Quand les premiers sont plutôt enthousiastes et bienveillants les seconds se révèlent féroces voire parfois irrespectueux. Pour le lire très régulièrement avec beaucoup de plaisir (et de compassion pour ses victimes), je vous confirme que Jay Rayner, fait clairement partie des plus hardcore de la deuxième catégorie et pour vous le prouver je me suis amusé à traduire en partie une de ses dernières critiques. Vous allez voir que le pauvre restaurant londonien Seabird de l’Hôtel branché Hoxton prend très cher, et ce dès le titre de l’article qui annonce la couleur : « Critique d’un restaurant où on a bien mangé, mais où on ne reviendra jamais ». Là où notre François Simon national hachait menu, Jay Rayner cartonne au bazooka.

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Seabird à Londres : la critique en mode « on a mangé quelques trucs sympa mais vous ne nous reverrez jamais ! »

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Et voilà qu’arrive notre serveur. Vous vous plaignez dès que je critique les serveurs. Non seulement ils font un métier difficile et sous-payé mais en plus il doivent se coltiner des gens pas toujours commodes, à commencer par moi. Je tente de sympathiser. Après tout, on déteste tous les gens et même moi, je me déteste. Mais on dira ce qu’on veut, le service fait partie de l’experience client et s’il est assuré avec la même grace qu’une coloscopie sans lubrifiant, on se doit de le signaler. Mais revenons au serveur qui insiste pour nous expliquer le menu – ce qui revient en fait à nous lister les plats qu’ils n’ont plus – tel est le destin d’un restaurant de poissons hautement dépendant de la pêche du jour. Je commence à choisir tandis que le serveur m’observe en hochant de la tête. Je lui demande si à un moment, il a prévu de prendre des notes. Il me répond que non. J’insiste. Peine perdue, c’est non. Soit. Les trois premiers plats arrivent cinq minutes plus tard alors qu’on ne nous a toujours pas servi le vin. Je demande poliment si éventuellement il serait possible que nous ayons notre vin en même temps que la nourriture. « ça arrive, on me répond !»

Un peu plus tard quand les plats principaux nous sont servis, il manque un accompagnement : une assiette de fèves chaudes, oeuf mimosa et chapelure d’herbes. Le serveur a l’air atterré quand je le lui fait remarquer. Un esprit revêche aurait pu mettre cet oubli sur le compte de l’absence de prise de note. Mais le serveur ne se démonte pas et nous soutient mordicus qu’il nous avait averti en amont de l’indisponibilité de ce plat. Nous lui répondons qu’il ne nous a jamais dit ça. Le serveur ne nous propose même pas de nous apporter quelque chose d’autre en remplacement. Je veux bien que des palourdes viennent parfois à manquer dans un resto de fruits de mer, mais quelle cuisine peut se retrouver à cours de fèves, de chapelure et d’oeufs ?

En ce qui concerne la nourriture, impossible de passer sous silence la violence occasionnelle qui règne à Londres concernant l’épineux problème des tarifs. Au Seabird, une petite assiette de ceviche de dorade est facturée au prix fort de 21€. Certes c’est une assiette plutôt bien troussée, mais qui me rappelle un peu trop hélas ce conseil de Coco Chanel : « Avant de partir de chez vous, regardez-vous dans le miroir et enlevez un accessoire ». ici la dorade crue doit supporter conjointement la force de la sauce romesco, le côté salé de la tapenade d’olives noires, sans oublier un « tartare de poivre » (en fait du poivre émincé). Deux de ces condiments auraient largement suffi, trois c’est trop.
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Pendant ce temps la musique pulse, les serveurs barbus s’activent dans tous les sens avec un air hyper sérieux et les 37€ de notre bouteille de Godello (vin blanc espagnol) ne suffisent pas à arrondir les angles. C’est le vin le plus abordables d’une carte des vins certes alléchante mais uniquement pour les clients disposés à dépenser plus de 50€.
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Au bout d’un moment je me décide enfin à déplacer cette lampe à pétrole qui pue, non sans me brûler les doigts. Tandis que je grimace en levant les yeux au plafond, j’aperçois le système de sprinklers anti-incendie. Mes doigts sont douloureux, j’en ai plein les oreilles et au final, je me sens très con d’être là. Le seul truc qui pourrait me sauver serait que la carte des vins se retrouve accidentellement en contact avec la flamme de la lampe afin de déclencher le système anti-incendie. De quoi conclure cette soirée avec un peu de d’animation.

Jay Rayner a sorti un livre et se lance dans le one-man-show avec un spectacle dans lequel il imagine son dernier repas idéal avant de mourir. 

Lire l’article original du Guardian

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